MARIANNE
Février 2009
Protectionnisme : ouvrons le débat !
Peu de mots suscitent, parmi les dirigeants et les leaders d’opinion en Europe, autant de démagogie politique, de raccourcis historiques, d’approximation économique et de haut-le-cœur moraux que le « protectionnisme ». Pourtant, la crise mondiale du capitalisme, sa dureté, sa durée, devraient inciter à traiter ce sujet avec réflexion plutôt que par réflexes.
Le monde ne risque pas de devenir protectionniste pour la bonne raison… qu’il l’est déjà ! L’Europe est protectionniste quand elle ferme une part de ses marchés aux productions agricoles des pays tiers, singulièrement d’Afrique. Les Etats-Unis sont protectionnistes quand ils usent de l’arme tarifaire ou financent le secteur de l’armement par le biais des commandes publiques. La Chine, surtout, est protectionniste. Passons sur les restrictions massives faites aux importations et aux investissements sur son territoire, sans que personne ne s’émeuve de cette absence flagrante de réciprocité. En sous-évaluant sciemment sa monnaie, la République populaire subventionne massivement ses exportations. Dans le même temps, ayant favorisé l’exode rural de 200 millions de personnes en quinze ans sans instaurer de protection sociale, les cadres du Parti communiste s’assurent une main d’œuvre bon marché quasi-inépuisable et garantissent de faibles coûts de production aux entreprises nationales comme aux multinationales occidentales. Comble de l’ironie, les rares voix qui ont dénoncé cette forme agressive de mercantilisme ont subi un procès en… protectionnisme !
Autant que l’immoralité des traders ou que l’absence de régulation financière, la stratégie commerciale de la Chine est une donnée fondamentale de la crise. En permettant à son industrie d’inonder les marchés occidentaux de produits à bas prix, elle a accéléré la désindustrialisation de l’Europe et de l’Amérique du nord. Et amplifié la pression à la baisse sur les salaires à l’origine de l’explosion de l’endettement privé (Etats-Unis, Royaume-Uni) ou public (France).
Et l’Europe dans tout cela ? Si l’on excepte la politique agricole commune, elle est le continent libre-échangiste dans un monde protectionniste. Pas étonnant, dès lors, que son industrie se réduise comme peau de chagrin ou que ses classes moyennes sombrent dans la pauvreté ! Quant aux prétendues vertus créatrices du libre-échange, la situation de l’automobile les réduit à néant. Ces dernières années, la principale innovation des constructeurs européens a consisté à faire produire des véhicules polluants dans les pays à bas coût, à l’est ou au sud, et à reporter l’arrivée de la voiture propre.
La question ne devrait plus être : « L’Europe va-t-elle céder au protectionnisme ? » mais « Comment compte-t-elle répondre au protectionnisme ambiant ? » Il est temps que les responsables européens acceptent, sur les questions commerciales, de renoncer à une naïveté qui serait risible si elle ne jetait pas des millions de salariés sur le carreau.
Trois réflexions éclairent ce débat.
1) Une forme dangereuse de protectionnisme doit être rejetée, celle qui aboutit à des réactions de fermeture commerciale en cascade. C’est le cas, par exemple, du projet « buy american » qui obligerait à utiliser de l’acier ou de la fonte made in USA pour les projets d’infrastructure nécessaires à la relance. Une telle décision obligerait les partenaires commerciaux des Etats-Unis à une mesure similaire et, au total, personne n’en sortirait gagnant. Pour dissuader toute velléité de ce type, l’Union européenne doit être ferme et dire que si elle devait y être confrontée, elle prendrait immédiatement des mesures de rétorsion.
2) En période de récession, les aides directes aux entreprises menacées sont nécessaires. S’interdire d’y recourir au prétexte qu’elles seraient protectionnistes est absurde : comment développer une activité industrielle quand celle-ci a disparu ? Les aides directes aux secteurs dans la tourmente doivent cependant présenter deux caractéristiques : être ponctuelles et favoriser l’innovation. C’est ainsi qu’il faut examiner les plans nationaux à l’automobile, « protectionnistes » selon certains bons esprits. L’idéal serait bien sûr que la mobilisation en faveur de la filière fût impulsée au niveau communautaire. Mais en l’absence d’une politique industrielle et de recherche européenne, d’harmonisation fiscale et sociale parmi les Vingt-sept, il est légitime que les Etats prennent leur responsabilité et imposent le maintien de l’activité sur leur territoire en contrepartie de leur soutien. Il faudrait même aller plus loin, par exemple en indiquant, sur les fiches de vente, le taux d’émission de CO² que la fabrication ou le transport ont généré, le lieu de production du véhicule, le montant et les conditions des subventions perçues par le constructeur. Les lobbies et les grands groupes combattent ce principe de traçabilité, mais les consommateurs et les salariés européens ont tout à y gagner.
3) Reste la racine du problème : le protectionnisme chinois, et d’abord son versant monétaire. Les pressions doivent s’intensifier pour que la Chine, dans le cadre d’un nouveau « Bretton Woods », accepte que le yuan s’apprécie conformément à la situation économique. Au plan commercial, le pragmatisme commande. Face au protectionnisme, de nouvelles règles d’équité et de réciprocité doivent prévaloir. A quoi bon laisser s’installer une concurrence sauvage entre des pays qui refusent toute avancée sociale ou environnementale et ceux qui s’orientent vers une économie sociale et écologique de marché ? Il n’y a que dans des modèles théoriques hors-sol qu’une telle rivalité peut être bénéfique.
Si l’on veut maintenir des activités économiques vitales en Europe, continent de la social-écologie, et contraindre les autres grands ensembles à respecter graduellement les normes internationales en matière de droit du travail ou d’émission de CO², des règles de compensation – des écluses sociales et écologiques – sont indispensables pour rétablir les conditions d’un juste échange. Ainsi les règles commerciales n’aboutiront pas à avantager les dumpings en tous genres ! Au contraire, en faisant payer la « différence » par les pays les moins protecteurs de leurs travailleurs et les plus destructeurs de leur environnement, elles soutiendront leur développement.
P.S. Précisément, le PS, mon parti. Jusqu’ici, il a occulté ce débat, laissant aux libre-échangistes globaux et aux protectionnistes nationaux le soin de le dénaturer. Alors qu’il revient aux socialistes et aux sociaux-démocrates de réconcilier réalisme et internationalisme. Les élections européennes de juin prochain leur en donneront l’occasion. A quoi servirait, en effet, une majorité de gauche au Parlement de Strasbourg si celle-ci refusait, par un dogmatisme teinté d’irénisme, de protéger les salariés, les entreprises, les territoires européens ? Tirons, en France et en Europe, la grande leçon de la crise : pour protéger les multinationales, leurs dirigeants, leurs actionnaires, il existe des partis conservateurs et libéraux ; pour protéger les travailleurs, les producteurs, les créateurs, il y a la gauche.
Guillaume Bachelay est secrétaire national du PS à la politique industrielle, aux entreprises et aux nouvelles technologies.
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