Monsieur le Premier Ministre,
La gravité de la crise appelle, en effet, une responsabilité : celle de
votre gouvernement par les choix qu’il fait, celle de l’opposition par
ses propositions. Et c’est le sens du débat que nous avons aujourd’hui,
si nous voulons le conduire dignement.
Commençons par un constat implacable : la crise qui frappe n’est pas un accident violent, c’est l’effondrement d’un système lui-même. Ce système, il s’appelle « économie d’endettement sans contrôle », « dérégulation sans limites », « déréglementation sans objectif autre que celui de l’augmentation du profit et de la spéculation ». Pour tout dire, ce qui s’effondre aujourd’hui, c’est une partie de ce que vous appeliez « la bataille idéologique », c’est-à-dire, le libéralisme économique.
Le second constat que nous pouvons faire les uns et les autres, c’est que cette crise n’est pas simplement américaine, ce serait trop simple. Si elle n’était née qu’aux Etats-Unis, si elle n’avait eu d’innovation qu’aux Etats-Unis, si la dérégulation n’avait été qu’aux Etats-Unis, nous n’aurions pas aujourd’hui une crise mondiale ; or, la crise est mondiale, parce que le système s’est mondialisé.
Le troisième constat incontestable, c’est que vous avez sous-estimé cette crise dès le départ. L’année dernière, quand l’affaire des surprimes arrive, la Ministre de l’économie et des finances dit « le crack n’est pas aujourd’hui et il n’y aura aucune conséquence sur la croissance ». Encore en août dernier, alors que la crise frappait de nouveau, Madame Lagarde a dit que « la crise était encore derrière nous ». Voilà comment vous avez, dans ce moment, pendant un an, sous-estimé la crise.
Dernier constat : la crise financière n’est pas que financière. Aujourd’hui, elle est devenue une crise économique majeure et la récession n’est pas pour demain ; elle est déjà là en France.
Dès lors, si l’on veut être à la hauteur des menaces qui, hélas, pèsent, il faut sans doute comme l’a fait le Premier ministre appeler à la convocation d’une conférence internationale –nouveau bretton woods- à la fois sur les marges de fluctuations monétaires –sûrement, sur la supervision du système financier –assurément, mais aussi sur la fin d’un certain nombre de produits, d’innovations financières, de fonds hors tout contrôle.
Et, pour tout dire, il n’y aura de conférence internationale qui aura le nom digne pour s’appeler ainsi, que si sont mis en cause les paradis fiscaux et l’ensemble des fonds qui, aujourd’hui, échappent à tout contrôle, à toute intervention.
Mais, il y a urgence, au-delà de cette conférence internationale. Au niveau de l’Europe d’abord.
Les Etats-Unis ont fait voter, non sans mal, le plan Paulson. Il existe. En Europe, qu’avons-nous fait : des réunions nécessaires, utiles, mais insuffisantes. Il a tout de même fallu plusieurs jours pour que soit décidé, non sans mal, qu’il y ait la même règle pour la garantie des dépôts dans l’ensemble de l’Europe –même si, le lendemain, des pays s’en sont déjà dépourvus en fixant la garantie de manière illimitée. Il a fallu plusieurs réunions, non sans mal encore, pour sauver le système bancaire dans tel ou tel pays, sans aucune concertation au plan européen.
Et, encore aujourd’hui, on apprend que les Britanniques vont décider de 50 milliards d’euros pour sauver leur propre système bancaire ! Alors même qu’il a été refusé un plan de sauvetage européen pour l’ensemble du système bancaire.
Autre illustration : quand, après le sommet du G4, il a été proclamé que le pacte de stabilité allait être assoupli, alors que c’est tout simplement la seule application des traités existants qui venait d’être ainsi évoquée !
Je considère aujourd’hui que ces réactions ne sont pas, là encore, à la mesure de ce qui se produit.
Il y a trois propositions à faire :
La première : la solvabilité des banques :
Oui, il faut un plan européen de sauvetage du système bancaire. Oui, il faut que ce plan soit mené par les Etats, mais de manière concertée. Et, si tel n’est pas le cas, regardons la réalité en face, nous apprendrons aujourd’hui qu’il y a une crise en Grande-Bretagne, demain une crise bancaire en Espagne, après-demain une crise en Allemagne… Et pourquoi pas, car qui peut le dire aujourd’hui avec assurance, une crise pouvant survenir en France.
La question de la solvabilité des banques est la question majeure.
La deuxième : le besoin de liquidités :
Là encore, soyons face à nos responsabilités. Qui ne voit qu’aujourd’hui plus une banque ne prête dans notre pays et en Europe ? Qui ne voit que les chefs d’entreprises de PME ne parviennent pas à faire financer leurs investissements ou leurs projets et que c’est la Banque Centrale Européenne qui, aujourd’hui, est devenue prêteuse en dernier ressort.
Il faut donc, effectivement, et c’est le sens du débat aujourd’hui, que nous soyons conscients et que nous appelions à ce, qu’effectivement, la BCE apporte de la liquidité. D’ailleurs, nous nous félicitons, nous aussi, de la baisse des taux. Mais, quand même, qu’il ait fallu 8 hausses des taux pour décider maintenant d’une baisse d’demi-point ! Comment pouvons-nous penser que nous réagissons de manière convenable, digne, face à la crise qui est devant nous !
La troisième : soutien de l’activité :
On se félicite qu’il y ait, de la part de la Banque Européenne d’Investissement, un emprunt de 30 milliards d’euros qui puisse être décidé pour soutenir les PME… en Europe ! 30 milliards d’euros ! Est-ce à la hauteur de la situation ? C’est 10 fois plus qu’il faudrait créer ! Et, aujourd’hui, nous demandons le lancement d’un grand emprunt européen pour soutenir l’activité de l’ensemble de nos pays.
Au niveau national, il y a, là encore, deux grandes décisions à prendre :
La première : obtenir la transparence et la vérité sur l’ensemble du système bancaire.
Vous avez raison, Monsieur le Premier Ministre, de vouloir rassurer les épargnants. Nous devons le faire. Leur dire qu’il n’y a pas de danger pour leurs dépôts. Mais, en même temps que nous le faisons, nous devons exiger des banques toute la vérité sur crédits toxiques dont elles disposent aujourd’hui, ou sur les participations qui ont pu être prises. C’est la contrepartie à l’exigence de garantie.
La deuxième décision que nous avons à prendre : prise de participation en cas de difficulté de notre système bancaire.
Je me félicite qu’il y ait eu, déjà, sur Dexia, un certain nombre de choix qui ont été faits. Mais, en même temps, quand je vous entends, Monsieur le Premier Ministre, dire que ces prises de participation –dont on ne sait pas aujourd’hui ce qu’elles seront compte tenu de la gravité du système bancaire- devront être au plus tôt revendues, je dis qu’il faut garder ces prises de participation.
Parlons maintenant de l’économie réelle qui est menacée par la crise financière. Et pour cela, je ferai trois propositions :
La première : l’accès des entreprises comme des particuliers au crédit.
Nous devons en prendre la mesure. La récession est là et elle peut encore s’amplifier si les agents économiques ne peuvent pas accéder au crédit. Ceux qui nous regardent se posent sans doute la question de leurs dépôts, mais ils se posent aussi la question de savoir s’ils pourront faire financer, demain, leurs propres activités ou obtenir le prêt pour leur logement.
Je propose donc, Monsieur le Premier Ministre, la création d’un fonds national de garantie des prêts, de façon à ce que le système bancaire puisse être alimenté, être mutualisé, pour faire effectivement distribution du crédit.
La deuxième proposition : soutien de l’investissement.
Nous sommes dans une croissance que vous appelez « croissance négative », bref la récession. Nous y sommes. Nous avons le besoin, aujourd’hui, de soutenir l’investissement privé en modulant l’impôt sur les sociétés, le relevant sur les bénéfices distribués, le baissant sur les bénéfices réinvestis. Nous avons aussi besoin d’investissement public. Comment entendre, aujourd’hui, qu’il y aurait soutien au logement quand nous savons qu’il y a une baisse des crédits de 6 % dans le budget du logement ? Comment pouvons-nous entendre soutien de l’activité, quand les collectivités locales qui font 70 % de l’investissement vont être privées d’une partie des ressources utiles pour l’économie.
CONCLUSION
Nous avons, demain ou dans quelques jours, le débat budgétaire. Que votre budget est, d’ores et déjà, complètement décalé par rapport à la gravité de la crise. Vos objectifs de croissance ne seront pas tenus, ni pour 2008, ni pour 2009. Le Fonds Monétaire International annonce 0,2 % pour 2009.
Vous vous obstinez à poursuivre une politique qui ne marche pas. Dans la crise que nous vivons, c’est non seulement injustifiable, mais aussi impardonnable d’avoir une politique telle que vous l’avez précisée, il y a un an, avec les résultats que l’on sait.
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